Jumeaux numériques et confort thermique

Télécom SudParis

Présentés lors du 22e PerCom (International Conference on Pervasive Computing and Communications), qui s’est tenu en mars 2024 à Biarritz, les travaux menés à Télécom SudParis sur l’évaluation des systèmes de chauffage, climatisation ventilation (CVC) ont reçu un accueil très favorable. Sélectionnés pour leur caractère novateur, ils ont fait l’objet d’une publication dans une revue de référence, consacrant l’expertise des chercheurs de l’école dans les domaines des jumeaux numériques et de l’Internet des objets.

Enjeux de développement durable et de confort

Le secteur du chauffage, de la ventilation et de la climatisation (CVC ou HVAC en anglais pour Heat, Ventilation and Air Conditioning) est à la croisée d’enjeux techniques et sociétaux importants mais parfois contradictoires.

Tout d’abord, avec ses équipements énergivores (chaudières, pompes à chaleur, compresseurs, ventilateurs, etc.), le CVC représente une part très significative de la consommation énergétique des bâtiments. Dans les bâtiments commerciaux en particulier, le chauffage, la ventilation et la climatisation contribuent à eux seuls à près de la moitié des dépenses énergétiques. C’est donc un poste clé à considérer dans le cadre de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, à laquelle s’attache notamment la réglementation environnementale RE 2020, qui cible le neuf.

D’autant que, réchauffement climatique oblige, les besoins en climatisation devraient tripler d’ici à 2050. Le confort thermique est en effet un élément capital du bien-être des occupants d’un bâtiment, que ce soit dans le résidentiel ou dans des locaux commerciaux. L’objectif est de maintenir des températures suffisantes au cours des saisons froides, et une ambiance relativement fraîche à l'intérieur malgré les températures extérieures élevées fréquentes lors de la saison chaude.

Cette notion de confort thermique est en partie subjective, et l’enjeu actuel est d’être capable de procurer un confort personnalisé, qui tienne compte au mieux des besoins de chacun des occupants. Les variations de ressenti d’une personne à l’autre dépendent en effet de divers facteurs individuels tels que l’âge, le genre, l'état de santé, etc.  Interviennent aussi la localisation des personnes à l’intérieur du bâtiment ainsi que les déplacements, autrement dit le mode d'occupation du bâtiment par ses occupants. Il importe également de tenir compte des facteurs régionaux, tant climatiques que culturels, qui sont souvent laissés de côté.

Les réponses classiques

Certes, l’obtention de cet équilibre entre sobriété et confort dépend en premier lieu des caractéristiques des bâtiments, de leur orientation, leur géométrie, leur mode d’isolation ainsi que des matériaux utilisés (murs, toiture, fenêtres). La conception architecturale joue un rôle crucial sur les transferts thermiques. Une fois ces éléments pris en compte, les systèmes modernes de CVC peuvent réduire la consommation grâce à leur haute efficacité énergétique. Un pilotage étroit est requis pour atteindre à la fois les objectifs d’efficacité énergétique et de confort thermique. C’est là où interviennent les bâtiments intelligents – « smart buildings » en anglais, qui intègrent des systèmes destinés à collecter et analyser des données en temps réel, afin notamment de réduire la consommation d’énergie et de faciliter la maintenance préventive. Car c’est l’automatisation des systèmes de chauffage, ventilation, climatisation qui va permettre d’envisager une gestion fine du confort thermique.  Par exemple, des lidars ou autres capteurs sont utilisés pour prendre en compte les conditions météorologiques.

Reste la question de la prise en compte des besoins spécifiques des utilisateurs du bâtiment : ses occupants. L’internet des objets est une piste pour l’acquisition des données : à l’aide des capteurs des objets connectés, notamment portables, il est possible d’objectiver le confort - ou l’inconfort thermique - en termes de température corporelle, de rythme cardiaque, de niveau de sudation, etc.

Le recueil d’information peut également s’effectuer des occupants en utilisant un système ‘feedback’, c'est-à-dire des questionnaires visant à cerner le ressenti et les préférences de chaque occupant sur le plan du confort thermique. L'indicateur est souvent une échelle sur 7 valeurs (Thermal Sensation Vote (TSV) en anglais) de trop froid (- 3), à trop chaud (+3).

Si elles ont leurs avantages, ces méthodes ont également le défaut d’être longues, délicates et coûteuses à mettre en place.

L'approche innovante de Co-zyBench

Comme le rappelle Georgios Bouloukakis, professeur associé à Télécom SudParis, « nous avons développé au sein du laboratoire Samovar une forte expertise du domaine du smart building, avec une expérience considérable sur le sujet. C’est ce qui nous a amenés à nous intéresser à ces sujets liés au confort thermique. »

L’approche des chercheurs de Télécom SudParis, parmi lesquels un doctorant du laboratoire ainsi qu’un élève-ingénieur de l’Ecole, constitue une alternative innovante aux méthodes actuelles. En s’appuyant sur les environnements de modélisation et de simulation que sont les jumeaux numériques (Digital Twins en anglais), ils ont conçu et développé Co-zyBench [1], un outil d’analyse totalement numérique, permettant d’évaluer le fonctionnement des systèmes de CVC dans différentes configurations, en interaction avec les dynamiques d’utilisation du bâtiment par ses occupants.

L’idée maîtresse est de représenter par un jumeau numérique le bâtiment et ses systèmes de CVC (en particulier leurs performances énergétiques), et par un autre jumeau numérique, les occupants, leurs mouvements et leurs préférences respectives en termes de confort thermique. Le couplage de ces deux jumeaux faciles à configurer permet d’effectuer des simulations, pour optimiser à la fois l’empreinte environnementale du bâtiment et le confort thermique des personnes »

Les jumeaux peuvent être renseignés à partir d'informations de différentes origines : des données acquises par des capteurs évoqués ci-dessus ou des jeux de données pertinents provenant de la littérature scientifique, ou de différentes bases de données. Pour ce faire, Co-zyBench s'appuie sur un modèle de données standard (NGSI-LD), ce qui apporte une grand flexibilité aux utilisateurs, qui peuvent compléter les informations fournies leur propres sources. « Nous avons ainsi intégré à la plateforme la description modélisée de différents types de bâtiments, de leurs capteurs et systèmes CVC, ainsi que des archives météorologiques région par région. » précise Georgios Bouloukakis. Le modèle a été étendu à la description des occupants d'un bâtiment, de leurs déplacements et de leur profil de préférences thermiques. Pour ce qui concerne l'optimisation du confort thermique, nous proposons une stratégie reposant sur la recherche d'équité entre les occupants et qui consiste à minimiser les insatisfactions individuelles.

 

Co-zyBench a été mis en œuvre sur des cas pratiques, ce qui a permis d’analyser différentes stratégies de fourniture de confort thermique afin de comparer leurs performances. Cette première analyse montre la possibilité de concilier l’atteinte d’un confort thermique équitable avec la sobriété énergétique.  Co-zyBench va être enrichi par de nouvelles données et fonctionnalités, avec l’objectif de réunir une communauté en ligne autour de cet outil innovant.

 

→ Co-zyBench Publication :

[1] Jun Ma, Dimitrije Panic, Roberto Yus, and Georgios Bouloukakis. "Co-zybench: Using co-simulation and digital twins to benchmark thermal comfort provision in smart buildings." In 2024 IEEE International Conference on Pervasive Computing and Communications (PerCom), pp. 25-35. IEEE, 2024.

PDF : https://inria.hal.science/hal-04514006v1/document

Outil : https://github.com/satrai-lab/cozybench

 

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