IA et Santé : de la prédiction classique à ChatGPT

Télécom SudParis

Dans ce 5e épisode de la saison 4 de notre podcast Sciences Num., nous nous penchons sur l’apport de l’IA en santé au travers de la maladie de Parkinson, avec Mounîm El Yacoubi, professeur en Intelligence artificielle à Télécom SudParis.

Il travaille notamment sur le Deep Learning et l'IA pour l'évaluation des maladies neurodégénératives et chroniques, la biométrie ainsi que l'infrastructure hyperconvergée.

L'entretien est réalisé par Annick de Chenay, consultante en communication scientifique.

Sciences Num. est un podcast produit par Télécom SudParis et soutenu par le Carnot Télécom et Société numérique.

 

 

 

Annick de Chenay : Qui êtes-vous Mounîm El Yacoubi ?

Mounîm El Yacoubi : Mon parcours est assez atypique. J'ai fait ma thèse en France, en milieu industriel au service de recherche technique de La Poste à Nantes, sur le tri automatique du courrier manuscrit français. Ensuite je suis parti en Amérique, au Canada et aux États-Unis où je travaillais toujours sur le même domaine. Depuis 2008, je suis revenu en France en tant qu'enseignant-chercheur à Télécom SudParis et je me concentre plus sur la biométrie, l'interaction homme machine de manière générale, l'analyse de la mobilité humaine avec un focus spécial sur la santé numérique.

 

AdC  : Vous êtes un spécialiste de l'IA en santé numérique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos activités de recherche ?

MEY : Depuis quelques années, nous collaborons avec l'Hôpital Broca à Paris. On a travaillé sur la détection de la maladie d'Alzheimer à partir de signaux tels que l'écriture sur tablette, la voix et la marche, en utilisant des méthodes avancées d'intelligence artificielle. Ensuite, j'ai travaillé sur la détection du diabète et la détection d'hypoglycémie hyperglycémie avec une association de médecins, des cliniques, une start-up et finalement, il y a un projet en cours qui traite de la détection du Parkinson.

 

AdC : La maladie de Parkinson : pourquoi et comment on utilise l'intelligence artificielle pour cette pathologie ?

MEY : C'est un projet européen qui met en collaboration cinq pays dont la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, l'Espagne et la France. Ce qu'on cherche à faire, c'est d'essayer de visualiser des signaux non invasifs, des techniques invasives par rapport à l'existant. Je parle de la voix, donc on peut les collecter facilement à partir d'un microphone de la marche. Et puis des vidéos de visages. Les technologies non couteuses qu'on peut créer n'importe où avec son smartphone, de simples microphones ou un PC.

L'idée, c'est d'étudier dans quelle mesure utiliser ces signaux avec l'aide de l'intelligence artificielle pour détecter ou caractériser le Parkinson peut servir de proxy ou compléter des techniques plus invasives, coûteuses qui existent traditionnellement, telles que la génomique et l'analyse des IRM, voire tout ce qui est études ou tests cliniques. [...]

 

AdC : Est-ce que l'IA va remplacer le médecin dans ce cas ?

MEY : C'est une question effectivement importante. Il y a deux écoles en fait : pour certains, l'intelligence artificielle peut se substituer au médecin. Cela peut être vrai, mais vraiment de manière très restreinte, pour quelques tâches très spécifiques, par exemple l'analyse d'images de bonne qualité. Mais en général, l'IA ne doit pas et ne peut pas se substituer au médecin qui va tenir beaucoup plus du contexte de la relation avec le patient, etc. Avec d'autres chercheurs, nous voyons l'utilisation de l'IA plutôt comme un support qui permet l'aide au diagnostic et sera utilisé par le médecin lui-même.

 

AdC : Vous avez dit qu'il y a cinq pays impliqués dans ce travail de recherche sur la maladie de Parkinson. Alors comment travaillez vous ensemble ?

MEY : Chacune des équipes travaille sur un aspect particulier. Depuis Paris, je travaille avec ma collègue Dijana Petrovska et des chercheurs sur la détection et la caractérisation du Parkinson à partir de la voix. Donc on essaie de détecter une dégradation de la voix qui serait symptomatique du sol et puis aussi de l'absence de mouvement suffisant dans les expressions du visage, ce qu'on appelle l'hypomimie.

Nous collaborons étroitement avec l'ISM, l'Institut du cerveau et moelle épinière à Paris, à la Pitié-Salpêtrière, où la collecte de données auprès de patients se fait dans cet hôpital. Et on a effectivement les aides et l'expertise des médecins qui collaborent avec nous [...] Il y a une équipe à l'Université de Namur qui travaille plus sur les aspects éthiques. Et puis une équipe dans une association à Madrid qui travaille plus sur la relation avec les patients, sur les aspects acceptabilité de la technologie auprès de patients qui ont le Parkinson.

 

AdC : Et où en êtes vous aujourd'hui ?

MEY : Le projet arrive à terme dans plus ou moins six mois. Dans notre équipe, on a obtenu des performances très intéressantes, que ce soit au niveau de la voix ou bien au niveau du visage. Et à terme, on va essayer de combiner les deux technologies à la fois pour avoir une meilleure aide au diagnostic. On collabore étroitement avec les médecins, les experts de l'hôpital, les neurologues et ils sont au courant des résultats obtenus. On a des publications communes, donc on peut espérer qu'à moyen ou court terme, des start-up pourraient être intéressées par notre technologie et la mettre en œuvre pour une utilisation, éventuellement à l'hôpital.

 

AdC : Quels sont les avantages de ce type de collaboration, pour Télécom SudParis comme pour l'hôpital  ?

MEY : Nous avons une expertise en ingénierie, en informatique, en intelligence artificielle, alors que des médecins, des neurologues, leur expertise est sur la maladie de Parkinson elle-même. Donc la collaboration est non seulement souhaitable, mais nécessaire [...]

 

AdC : On parle beaucoup de ChatGPT. Est-ce qu'il peut être utilisé en santé de manière générale ?

MEY : Il faut savoir que ChatGPT est déjà beaucoup utilisé en santé aujourd'hui, que ce soit en support des médecins dans leurs activités de recherche, voire même les étudiants en médecine ou pour l'aide au diagnostic, par exemple. ChatGPT permet d'entamer une conversation avec un patient par exemple, à travers des questions ciblées. Que peut faire Chat GPT à la personne ? Il peut lui demander de répondre à un certain nombre de questions sur des symptômes que la personne peut avoir, sur comment la personne se sent au niveau émotionnel, etc. On va permettre à ChatGPT d'établir une sorte de diagnostic avec des probabilités qu'il pourrait communiquer au patient lui même, voire à son médecin ou à sa famille [...]

 

AdC : On peut aller très loin avec ChatGPT. Mais quels sont les aspects éthiques importants à ne pas oublier quand on utilise l'IA en santé ?

MEY : C'est une question extrêmement importante au niveau de l'Europe, aux États-Unis et d'autres pays : il y a des lois, qu'est ce qu'on peut faire ou pas ? L'un des principaux soucis de Chat GPT, c'est le caractère privé de la donnée [...] Puisqu'on peut acquérir la voix, l'image, voire une conversation au niveau texte, il faut s'assurer que ces données reste privées et ne se retrouve pas dans le cloud par exemple, où d'autres personnes vont y avoir accès. [...]

Un autre aspect qui n'a rien avoir, c'est comment faire en sorte que toutes les populations aient accès de manière équitable à ce genre de technologie ? Il y aussi son usage malveillant. Les problèmes éthiques sont nombreux. C'est un sujet d'actualité aujourd'hui.

 

Découvrez d'autres épisodes du podcast sur la thématiques IA et santé :

 

Partenaires

© Télécom SudParis – Siret : 180 092 025 00055 – APE : 8542Z