Smart mobility : vers une mobilité urbaine plus soutenable

Comment Télécom SudParis, ses chercheuses et chercheurs travaillent-ils sur la ville du futur et en particulier sur la mobilité ? Sur quels modèles simulent-ils les comportements d'une population en général, d'un réseau de transports ou d'une ville ? Andréa Araldo, enseignant-chercheur nous répond.
Sciences Num. : Vous travaillez sur la ville du futur et en particulier sur la mobilité. Quels sont vos projets ?
AA : J’étudie les façons de rendre nos villes plus soutenables en déployant de façon intelligente les nouveaux services de mobilités, en particulier la mobilité à la demande. Quand je parle de soutenabilité, je pense aux trois piliers de la soutenabilité : environnementale, économique et sociale.
SN : Comment travaillez-vous ?
J’utilise plusieurs approches. L’optimisation de modèles mathématiques, la théorie des graphes et la simulation à base d’agents. Dans la simulation à base d’agents, nous avons des modèles économétriques qui cherchent à modéliser la façon de prendre le choix car on est face à plusieurs options. Cela s’applique à plusieurs aspects de notre vie.
Cela s’applique aussi à la mobilité. Quand il faut choisir si on prend la voiture ou le bus ou s’il faut choisir A ou B, on est face à un choix entre plusieurs options. Il y a des modèles économétriques qui peuvent quantifier la probabilité de choisir une action plutôt qu’une autre. A l’aide de ces modèles, on peut simuler le comportement de la population générale dans le réseau de transports d’une ville.
SN : Par exemple, vous travaillez sur un projet financé par l’ANR, l’Agence nationale de la recherche, de quoi s’agit-il ?
Le projet s’appelle MUTAS. L’objectif de ce projet, c’est de rendre nos vies plus accessibles. L’accessibilité dans un endroit, mesure combien d’opportunités il est possible de rejoindre dans un temps limité. Une bonne accessibilité permet de rejoindre plusieurs écoles, plusieurs établissements de santé, plusieurs magasins dans un temps limité. On voit bien que cela dépend de l’aménagement du territoire et aussi du réseau de transports qui permet de nous déplacer dans ces territoires.
Actuellement, l’accessibilité est répartie de façon très inéquitable dans un territoire urbain. Dans le centre-ville, on a une bonne accessibilité alors que dans les banlieues on a une très mauvaise accessibilité. Le projet MUTAS, vise à utiliser les transports à la demande, à les déployer là où c’est nécessaire afin d’augmenter l’accessibilité des territoires qui ne le sont pas actuellement.
SN : Vos travaux s’inscrivent dans le cadre d’une recherche fondamentale. Intéressent-ils des institutions ou des acteurs privées ?
AA : C’est en effet de la recherche académique. Cependant, j’observe un intérêt croissant des acteurs publics et aussi privés. Nous avons par exemple écrit des projets avec une entreprise qui fait du transport à la demande. J’ai également été contacté par des entreprises privées du secteur de la construction automobile pour aller plus loin sur le sujet de la mobilité intelligente.
SN : Avez-vous été surpris que des industriels viennent vers vous ?
AA : C’est effectivement une surprise de constater que des constructeurs automobiles, à la fois en France et dans le monde, tiennent des discours à l’encontre de leur modèle économique traditionnel. Ils sont d’accord pour dire que le modèle « d’autosolisme », de dépendance à la voiture privée n’est plus soutenable, qu’il faut convaincre les gens de laisser leurs voitures chez eux et trouver des façons plus soutenables de se déplacer dans un territoire. Il faut donc trouver de nouveaux modèles de mobilité et de business pour garantir une mobilité plus soutenable. Ce discours, pour moi, c’était une surprise.
SN : Après ce premier projet avec l’ANR, que souhaiteriez-vous faire ?
AA : En premier lieu, j’embaucherais de jeunes chercheurs parce que c’est la matière qui est la plus importante pour ce type de recherches. On a besoin de matériel, de puissance de calcul, de serveurs mais c’est secondaire. Le matériel le plus important, ce sont les cerveaux, les idées, et le travail intellectuel pour trouver des solutions de mobilités les plus appropriées et les plus soutenables.
SN : Quels axes de recherche développeriez-vous avec ces jeunes chercheurs ?
AA : J’aimerais généraliser ma recherche à plusieurs villes dans le monde. Construire une sorte de data base des villes du monde et du potentiel que ces villes ont dans le futur grâce au développement de la mobilité intelligente et de la mobilité à la demande.
SN : Vous chercheriez à créer des modèles utilisables par des villes ou par des autorités ?
AA : J’aimerais créer des modèles utilisables par les chercheurs, ce serait une première étape. La deuxième étape, serait de rendre les modèles utilisables aussi par les autorités des transports et des décisions. Et la troisième étape, peut-être la plus ambitieuse, c’est de rendre ces modèles utilisables par le grand public pour impliquer tout le monde dans le choix de mobilité soutenable.
SN : Andrea, vous dites que vous souhaitez commencer par appliquer vos travaux sur Paris et la région IDF, pourquoi ?
AA : Parce que c’est là où je vis et c’est là où je galère tous les jours pour me rendre au travail ! L’Ile-de-France est une région très dense au centre, à Paris, et beaucoup moins dense dans les banlieues et nous faisons tous l’expérience d’une très mauvaise qualité de service dans les banlieues. Tous, nous nous rendons compte qu’il faut améliorer quelque chose. Les banlieues de l’Ile de France sont un terrain où ça serait très évident de montrer les avantages d’une mobilité à la demande et comment la qualité de vie de tout le monde peut être améliorée grâce à une meilleure accessibilité vers les opportunités.
SN : Andrea Araldo, que peut-on vous souhaiter dès maintenant ?
AA : J’aimerais que mon projet contribue à nous rendre tous plus intelligents, à remplacer cette file interminable de voitures qui vont toutes dans la même direction par des navettes intelligentes qui ramènent les usagers périphériques vers des points de collectes et des véhicules de longue portée qui puissent transporter tous ensembles les gens qui vont vers la même direction. Le temps que je vais passer à rentrer chez moi, je vais penser à combien nous pourrions améliorer la situation de la mobilité et j’espère que mon projet pourra contribuer à cela.
SN : Je vous le souhaite car on est nombreux à l’espérer, ça fait partie des grands défis de demain. Merci Andrea Araldo.
AA : Merci à vous.
Propos recueillis par Annick de Chenay
Andrea Araldo
Maître de conférences
Département RST Réseaux et Services de Télécom